La peinture de Philippe Aïni a recours à un ingrédient relativement inattendu dans le monde artistique : la bourre à matelas. Usant de cette substance mêlée de colle comme d'une pâte malléable, il en a fait un matériau d'une stupéfiante plasticité. Répandue sur la toile selon les besoins de la cause, elle devient la chair même de ses personnages tourmentés. Et de combien d'épreuves ne transpire-t-elle pas dans les mains de l'artiste livré à ses chimères, ses doutes et ses angoisses ?
Phonétiquement déjà, le mot se charge de sens multiples : la bourre, que l'oreille insidieusement rapproche d'un autre substantif, labour, cette mise à nu de la glèbe en vue des rituelles semences, renvoie inéluctablement au lit, lieu du sommeil profond, de la pensée horizontale et des plus voluptueuses caresses, minuscule territoire où la prodigue semence de l'homme jaillit au paroxysme de l'étreinte, porteuse de la merveille ou du désastre, selon l'état secret de son cœur. Or, Aïni, précisément, ne cesse de nous parler d'amour, de fusion et de mort. La femme, dont il ressent l'évidente supériorité créatrice -car elle seule donne la vie quand l'homme ne fait, le plus souvent, que l'avilir par son affligeant besoin de domination- la femme est à la fois à l'origine et aux confins de tout désir. Son ventre est la matrice nébuleuse, le creuset d'ombre où s'élabore l'avenir, la sauvegarde des fils d'Adam, cet étourdi qui délaissa l'arbre de vie pour l'arbre du savoir, la jouissance pour l'agitation. La femme est, plus que l'homme, indispensable au renouveau de l'espèce, mais elle est, en retour, meurtrie, suppliciée, sacrifiée au grand mythe de l'activisme planétaire, brûlée vive sur l'autel des petits empires éphémères qui la laissent, presque toujours, en dehors des rêves brutaux et des vaines ambitions de l'homme. Peu de princes ont l'inspiration de nous laisser un Taj-Mahal. Peu de princes ont l'Amour pour guide dans la conduite de leurs actions.